Descarte - ...je retombe insensiblement de moi-même dans mes anciennes opinions...
Renati Descartes – Meditationes de prima philosophia, Meditatio Prima
Mais ce dessein est pénible et laborieux, et une certaine paresse
m’entraîne insensiblement dans le train de ma vie ordinaire. Et tout de même qu’un esclave qui jouissait dans le sommeil d’une
liberté imaginaire, lorsqu’il commence à soupçonner que sa liberté n’est qu’un
songe, craint d’être réveillé, et conspire avec ces illusions agréables pour en
être plus longuement abusé, ainsi je retombe insensiblement de moi-même dans
mes anciennes opinions, et j’appréhende de me réveiller de cet assoupissement,
de peur que les veilles laborieuses qui succéderaient à la tranquillité de ce
repos, au lieu de m’apporter quelque jour et quelque lumière dans la
connaissance de la vérité, ne fussent pas suffisantes pour éclaircir les
ténèbres des difficultés qui viennent d’être agitées.
Descartes – Les méditations métaphysiques, traduction du Duc de Luynes
Mais ce projet est pénible et laborieux, et une
certaine paresse me ramène aux habitudes de la vie. Tout comme un prisonnier
qui peut-être jouissait dans le sommeil d’une liberté imaginaire, quand ensuite
il commence à soupçonner qu’il dort, craint d’être réveillé et conspire
nonchalamment avec ces illusions agréables, ainsi je retombe de moi-même dans
les vielles opinions et j’appréhende de m’éveiller, de peur que la veille
laborieuse qui succédera au paisible assoupissement ne doive dorénavant
s’écouler, sans la moindre lumière, parmi les inextricables ténèbres des
difficultés qui viennent d’êtres agitées.
Traduction de Michelle Beyssade
2006_06_03_Descartes_fin_de_la_premi_re_m_ditation__le_sommeil.doc
Voila comment se fini la première méditation, dans
laquelle on voit que presque tout ( les sens, les sciences y compris les
mathématiques ) est douteux. Nous ne pouvons plus faire confiance à beaucoup de
choses. Le projet de Descartes est simple : ne pas consentir au faux. Or
il vient de montrer que presque tout nous trompe, qu’il n’y a presque rien qui
ne nous fasse pas faire d’erreur… c’est une situation horrible, enseveli sous
les doutes, nous ne sommes même pas sûr de trouver quelque part quelque chose qui
soit vrai. Nous sommes prisonniers. Le doute nous enferme dans notre ignorance.
Nous sommes prisonnier de notre petitesse, de notre incapacité à tout
comprendre. C’est une prison dont on ne voit presque jamais les murs, mais
qu’on sent pourtant à chaque instant : nous sommes toujours à la recherche
de réponses, nous voulons savoir où nous emmène cette vie si tumultueuse, nous
voulons savoir qui nous aime et pourquoi, nous voulons aussi et surtout savoir
qui nous sommes, mettre des mots sur ce qui ce passe à l’intérieur de nous.
Milles « réponses » viennent, pour nous
libérer de ces doutes, les gens, les magazines, les institutions, milles
consolations nous enlacent de leurs rassurantes opinions. Tu es Untel, ceux-ci
t’aiment, demain tu iras faire cela, tu as telle qualité et tu penses comme ça,
et voici donc ta place dans le monde.
Notre faiblesse nous incline toujours à y croire,
tout cela est tellement rassurant… Mais d’où viennent ces réponses ?
Qu’est-ce qui nous prouve qu’elles nous disent la vérité sur le monde et sur
nous-même ? Rien. C’est ce que Descartes a montré dans sa première
méditation. Mais voila, la recherche de la vérité est difficile, sur son chemin
on devra faire face à des réalités qui font peur, en premier lieu notre ignorance,
notre imperfection, notre stupidité. Celui qui commence à entrevoir combien dur
sera le combat contre ces opinions, et combien facile il est de continuer à y
croire, aura toujours envie de renoncer. C’est presque un réflexe de
survie : pourquoi tout abandonner pour se jeter dans un bain
d’incertitude ? Mais voila la vraie prison : c’est la prison du
sommeil, du sommeil de la facilité, le sommeil de la vie à la Wall Disney. Un sommeil dans lequel on se sent
libre et puissant. Il est bien tentant de chercher à rejeter les doutes, de
continuer à prendre nos rêves pour des réalités.
Mais voila, il n’y a pas de
vérité à espérer de ce sommeil, il faut s’éveiller pour ça. S’éveiller par un
mouvement volontaire, par une discipline librement choisi, par un refus
systématique des agréables bêtises. On ne nous a rien promis : et ce monde
que le philosophe choisit de regarder, parce qu’il est le seul monde de vérité,
ce monde ne sera pas, comme nos rêves, fait pour nous plaire. Non seulement ce
monde peut ne pas nous plaire, mais il est possible que ce monde soit un monde extrêmement
difficile à atteindre, dans notre recherche, milles tentation, milles
réminiscences du rêves viendrons peut-être nous assaillir, charmeuses, et
déclarerons toutes être précisément ce que nous cherchons : la vérité.
Ainsi
si nous voulons nous priver de toutes les préjugés réconfortants, nous allons
nous retrouver sans rien. Seul, face à ce qui nous apparaîtra d’abord comme le
projet le plus difficile, un projet bien différent de beaucoup d’autres, car l’artisan
sait l’objet qu’il vas construire, tandis que le chercheur de vérité ignore
encore ce qu’il va découvrir. Rejeté par le doute dans les ténèbres.