Nietzsche - “Sois au moins mon ennemi!”—ainsi parle le respect véritable, celui qui n'ose pas solliciter l'amitié.
``Sei wenigstens mein Feind!'' - so spricht die wahre
Ehrfurcht, die nicht um Freundschaft zu bitten wagt.
Also
sprach Zarathustra
“Sois
au moins mon ennemi!”—ainsi parle le respect véritable, celui qui n'ose pas
solliciter l'amitié.
Nietzsche
- Ainsi parlait Zarathoustra - De l’Ami
Nous
cherchons parmi les choses et les hommes, ceux avec qui nous voudrions vivre.
Comment choisissons-nous nous nos compagnons ? Nous pouvons les choisir en
réfléchissant, comme un homme politique choisit ses alliés parmi ceux qui lui
seront utiles.
Oserais-je
prier celui qui m’inspire le respect d’être mon ami ? Peut-être que non,
peut-être est-ce trop demander, mais pour compagnie je peux avoir soit des
ennemi soit des amis.
Mais
le respect, qu’est-il ici ? On voit bien qu’il n’est pas très volontaire,
que tout au plus on peut faire l’effort de chercher à en prendre conscience,
sans que nous puissions le voir là où il n’est pas. On pourra croire un instant
que respecter quelqu’un, c’est le voir comme meilleur que nous-même, un peu
comme un enfant regarde l’adulte, en sentant à la fois qu’il peut devenir comme
lui, et qu’il ignore comme faire. Mais l’enfant est un adulte en puissance,
tandis que je ne deviendrais jamais semblable à mon ami, je ne le veux même
pas, moi qui veux devenir moi-même ! Ce respect n’est pas non plus celui
du serviteur au maître, car le serviteur s’oublie devant le maître, tandis que
devant mon ami je veux donner le meilleur de moi-même, et non pas seulement ce
qu’il attend de moi. Ce respect serait-il alors le respect de l’homme envers sa
bête domestique ? Ça c’est une bienveillance attendrie qui me donne le
plaisir de sentir combien il facile d’être gentil avec un inférieur, combien la
nature m’a donné de supériorité.
Mais
je cherchais le respect dans une sorte de but commun. Ce but est une fois
l’éducation de l’enfant qui le rend adulte, et dans laquelle le respect sert
d’exemple, une autre fois le service du maître, où le respect permet
l’efficacité en empêchant de débattre les ordres, une autre fois encore le
respect est un altruisme qui me fait préférer l’accomplissement de l’autre au
mien- propre. Si le respect n’est pas toujours présent dans ces relations, il
peut l’être à partir du moment où se respect soi-même en ne cherchant pas à
devenir l’autre. Le respect s’impose de lui-même, aucune loi ne peut forcer à
respecter, et le respect seul n’est jamais une occasion de se croire moins
important que l’autre.
Mais
n’y t a il pas encore du respect dans l’adversité ? Ne sommes nous pas
stupéfait et plein d’humilité devant les volcans et les ouragans contre
lesquels nous luttons pourtant ? Le guerrier n’a-t-il pas, au cœur de ses
pensées, un adversaire dont la force est un défi ? Plus encore : nul
guerrier ne tira jamais sa gloire d’avoir vaincu dans des conditions trop
avantageuses. Le désir du guerrier n’est pas vaincre par chance, mais par grâce
à sa valeur. Ainsi la guerre que mènent les hommes politiques n’est pas empêchée
par le parlement ; au contraire, c’est le parlement, dans lequel règne
–normalement- la politesse et l’intelligence qui donne à ces guerriers le cadre
qui leur permet de montrer leur valeur. C’est le respect qu’ils ont les uns
pour les autres, qui leur fait préférer attaquer par un beau discours, plutôt
que d’assassiner lâchement. La beauté et la grandeur des grands hommes ne
peuvent s’exprimer que dans des conditions honnêtes et respectueuses. L’inimitié
n’est pas sans respect, et nos ennemis nous importent.
Ainsi
le respect n’est pas une affaire d’agréable, de gentillesse et d’aide envers
l’autre. Il est plus vaste et il dénote plus un intérêt sincère, non pas
l’intérêt du stupide raciste pour les noirs, qui pourtant peuvent le préoccuper
toute la journée, car le raciste ne veut pas voir que les noirs sont le centre
de sa vie. Mais reconnaître son ennemi, reconnaître la valeur de son ennemi,
cela fait grandir, cela permet de se surpasser dans le défit de vaincre
loyalement. Car si on sait que nos ennemis ne nous veulent pas du bien, on voit
bien qu’ils nous forcent par là même à être tirer le meilleur de nous-même
Ainsi,
nous ne choisissons pas un autre pour peupler nos pensées uniquement selon le
plaisir d’être avec lui. Ce serait comme si on ne voulait plus voir que les
films dans lesquels il n’y a ni malheurs, ni oppositions, ni personnage
mauvais, ni difficulté à traverser.
Mais
même si nous ne pouvons pas toujours fuir l’adversité, il y a des rapports avec
les autres que nous préférons, c’est l’amitié. L’amitié n’exclue jamais
l’opposition, au contraire elle recommande de la vivre sincèrement, autant que faire ce peux, pour ne pas laisser
un contentieux nous séparer malgré nous, alors que peut-être il était possible
au début de le maîtriser. S’il y a une saine pudeur à ne pas dire tous les
reproches, il y a aussi une saine hygiène à ne pas les travestirent. L’amitié
se distingue de toutes les autres relations sociales parce qu’elle est voulu,
elle est une recherche active de l’autre. On n’est pas ami seulement parce
qu’on rigole ensemble, n’ayant rien d’autre à faire de mieux. Certes on rigole
avec des gens pour lesquels nous n’avons pas de respect, mais seulement de la politesse
et du plaisir partagé. L’amitié quand à elle n’exclue pas le plaisir qui est un
ciment doux, mais elle a besoin de pierre solide, d’un respect qui ne s’achète
pas mais se donne librement à tout cœur méritant.
Mais
si le respect est indispensable à l’amitié, il ne lui ne suffit pas. Il faut un
miracle bien plus grand que celui du respect pour établir une amitié. Or il
s’il faut toujours espérer un miracle, il ne faut jamais en attendre.
« Sois
au moins mon ennemi », car si je ne sais si le miracle de l’amitié germera
entre nous, pourtant, je te vois de grande valeur, toi que j’ose déjà tutoyer
car le respect met entre nous non pas une familiarité mais une fraternité, et
même si je ne peux te demander de vivre au près de toi comme un ami, car mon
cœur se refuse à espérer un aussi grand miracle, je doit déjà te demander
d’être mon frère ennemi.
Le
respect, qu’il soit dû à un ami ou à un ennemi, nous met en présence d’un être
de grande valeur, c’est comme une tentation, comme une invitation obligeante à
devenir un meilleur soi-même, à se réaliser et à s’accomplir au-delà de ce que
nous sommes déjà.
Toute
amitié commence par le respect, mais l’amitié est si rare, et le véritable
respect si impérieux, qu’au moins nous devons nous montrer à sa hauteur et
aller chercher ce qui est respectable, sans attendre d’avoir en plus la joie de
trouver un ami.