Pascal - Ecoulement – C’est une chose horrible de sentir s’écouler tout ce qu’on possède.
Ecoulement
– C’est une chose horrible de sentir s’écouler tout ce qu’on possède.
Pascal
2006_06_01_Pascal_c_est_une_chose_horrible_de_sentir_s__couler_tout_ce_que_l_on_poss_de.doc
Ce
qu’on possède, c’est ce qui nous est attribué habituellement par notre société
et ses institutions, mais aussi et finalement notre vie : c’est un peu le
sens du verbe avoir, quand on dit : j’ai des amis, 23 ans, un travail, des
rêves, ou comme on dit : j’ai un ordinateur, le bac et 2 grammes dans
chaque bras. On pourrait dire aussi qu’on a notre personnalité.
Mais
voila : Souffles de brumes, tout est vain souffle de brume. L’écoulement,
c’est le contraire du dur, c’est la mollesse, l’écrasement de l’attraction
universelle. On connaît peu de loi simple et universelle, mais cette phrase me
fait songer à un principe ( cad une idée qui joue le rôle de prince) de cette
science qui étudie les mouvement de la chaleur et de ses énergies. A chaque
transformation, la situation est de plus en plus imprévisible, désordonné et donc
plate : car sans cohésion aucun parti ne l’emporte. Pour le redire dans
les termes de l’ecclésiaste : Toutes choses
vont au même lieu ; tout est sorti de la poussière, et tout retournera en
poussière. Mais voila : les choses se font et se défont lentement et, face
à ce qui se construit chaque jour, beaucoup d’autres sont en train de mourir.
Nous ressentons
ça. C’est ainsi : nous sommes les témoins souvent impuissants de la
destruction du monde, de notre monde. Et ça, cette sensation du temps qui passe
et ne revient pas, du temps qui liquéfie tout, qui nous dépossède de tout, même
de nous-même, cette sensation-là est horrible. C’est une chose horrible.
Mais c’est une
chose : je peux faire un instant semblant pour jouer d’être dans un autre
monde, un monde où rien ne périrais, mais je ne peux pourtant pas me forcer à ignorer
l’évidence : sentir que ce qu’on a s’écoule et nous glisse
irrémédiablement entre les doigts, sentir ça c’est horrible, ça crispe jusqu’aux
bouts des poils d’insupportable souffrance.
Mais suis-je
dans l’obligation de faire face à ça ? Tout s’écoule, il y a eu de très
belles tentatives pour tenir l’éternel, mais heureusement les géomètres convainquent
peu. Même notre image de dieu, même notre adoration change d’objet au gré des
modes de notre cœur. Dieu comme mode. Non vraiment je ne peux pas échapper à ça :
même le plus intime de nous change. Mais si je peux vivre, faire quelque chose sans
y penser, comme on respire, ne puis-je pas éviter de penser à cette chose
horrible mais réelle ? Vaste question, j’abandonne… ou mauvaise question
peut-être...
Et pourtant on
possède. Peut être peu de choses, peut être avec fragilité, mais on possède. Si
ça s’écoule toujours, ça s’écoule pas toujours vite, et nous avons bien le
temps de tirer profit des nourritures de notre terre, cette terre vers laquelle
tout reviens mais d’où tout pars. Nos
mains ne sont pas vacantes, ni nos pensées sans objets et l’humanité a construit
de beaux endroits pour s’y reposer. Là ou ailleurs on coule parfois de
bons jours, arrosé par une pluie d’un soleil inaccessible…