Spinoza - Par Dieu, j’entends un être absolument infini, c’est-à-dire...
VI. Per Deum intelligo ens absolute
infinitum hoc est substantiam constantem infinitis attributis quorum
unumquodque æternam et infinitam essentiam exprimit.
EXPLICATIO : Dico absolute infinitum, non
autem in suo genere; quicquid enim in suo genere tantum infinitum est, infinita
de eo attributa negare possumus; quod autem absolute infinitum est, ad ejus
essentiam pertinet quicquid essentiam exprimit et negationem nullam involvit.
Ethica
VI. Par
Dieu, j’entends un être
absolument infini, c’est-à-dire une substance consistant en une infinité d’attributs dont chacun
exprime une essence éternelle et infinie.
Explication : Je
dis absolument infini, et non pas seulement infini en son genre ; car de ce qui est infini seulement en son genre, on en peut
nier une infinité d’attributs ; mais pour ce qui est
absolument infini, tout ce qui exprime une essence et n’enveloppe aucune
négation appartient a son essence.
Spinoza – Ethique
L’Ethique, dont l’objectif principal est de démontrer que
le bonheur est possible, commence par une série de définitions ardues. La
sixième définition est donc la définition de Dieu : l’être absolument
infini.
Pour comprendre cette définition, il me semble
indispensable de comprendre d’abord les termes qui la composent. Pour cela nous
prendrons des exemples qui étaient classiques à l’époque de Spinoza. Mais il ne
faudrait pas leur donner une importance autre que pédagogique, car ils expliquent
surtout ce que signifiaient les mots avant Spinoza.
Qu’est-ce qu’une substance ? La substance c’est ce
qui est en soi et se conçois par soi.
Elle s’oppose au mode, c’est à dire à la manière qui est en autre chose par quoi elle est aussi conçue. Prenons un
exemple simple : une chaise. Cette chaise est en elle et se conçoit par
elle, puisque je n’ai pas besoin d’une table pour avoir une chaise. Je n’ai pas
non plus besoin de comprendre ce que c’est qu’une table pour comprendre ce que
c’est qu’une chaise. Donc cette chaise est une substance. Mais cette chaise a
une taille, un poids, une couleur, et je pense à la couleur de la chaise, au poids de la chaise. Si je dit « je mesure
le poids ou la taille de rien » je ment, puisque je ne peux pas mesurer
rien. Donc pour penser au poids à la couleur, ou à la taille, je dois aussi
penser à quelque chose de pesant, de coloré etc. Au pire je pense à la couleur
d’un brouillard qui m’enveloppe, mais je ne parviens pas à m’imaginer ce que
peut-être la couleur de rien. Donc la couleur, la taille et le poids existent
en autre chose, ce sont des modes, des manières d’exister pour la chaise (ou
pour une autre substance). Il est important de comprendre que presque tout,
pour les anciens, est une substance. Un océan, un taille-crayon ou un livre
sont des substances, et moi-même j’en suis une. La différence entre l’océan Seules
les choses qui ont impérativement besoin d’autre chose (d’une substance) pour
exister sont des modes.
Qu’est-ce qu’un attribut ? Pour Spinoza, l’attribut
est ce que je perçois d’une substance comme constituant son essence. Commençons
par l’essence : c’est elle que décrit une définition. Par exemple
l’essence de l’homme c’est ce dont je vais parler pour définir l’homme. Je peux
dire par exemple que l’homme est la chose qui pense. Tout ce qui pense est
homme, tout homme pense. L’essence de l’homme ce serait donc ici d’avoir la
faculté de penser. Donc ce que je perçois de la substance « homme »
comme constituant son essence, c’est la pensé. La différence entre l’attribut
et l’essence, c’est que un homme peut penser, mais ne pense pas à tout les
pensées possibles tout le temps.
Je peux définir autrement un homme, je peux dire que
c’est un homo sapiens sapiens. Cette définition n’est pas plus mauvaise que
l’autre : on voit bien que tout ce qui est homo sapiens sapiens est homme,
et que tout ce qui est homme est homo sapiens sapiens. Mais pourtant je ne dis
pas la même chose : je perçoit la même substance de façons différente. On
peut donc trouver à une même substance plusieurs attributs, chaque attribut est
incomparable aux autres, ce sont juste différentes manière de comprendre le
monde.
Relisons : « Par Dieu, j’entends un être absolument infini, c’est-à-dire une substance consistant en une infinité d’attributs dont
chacun exprime une essence éternelle et infinie. »
Avec le mot « Dieu », Spinoza veux désigner un
être absolument infini (nous verrons ce que cela veux dire en lisant l’explication),
c'est-à-dire une substance (Dieu est en lui-même, il n’a besoin de rien d’autre
que lui pour être ou être conçus par quelqu’un), une substance qui a une
infinité d’attributs (c'est-à-dire qu’on pourrait le comprendre d’une infinité
de façon) dont chacun exprime une essence éternelle et infinie.
Mais qu’est-ce que c’est qu’une essence éternelle et
infinie ? Il faut un instant se remettre dans les enjeu théologique et
métaphysique de l’époque. Il y a une manière de définir les choses, c’est de
dire ce qu’elle ne sont pas. Par exemple je peu dire que ma chaise c’est une
planche sur quatre pieds sur laquelle on peut s’asseoir, et qui n’est ni un
tabouret, ni un banc. Ça ne pose pas beaucoup de problème comme, sinon que
c’est un petit peu tiré par les cheveux. Mais l’enjeu est énorme si je défini
dieu par des termes négatif. Si je défini dieu comme étant celui qui ne peut
pas ceci, qui ne sait pas cela, qui ne éviter le mal, ne parviens pas à établir
le bonheur parmi les hommes etc. Je suis d’une part parti dans une mauvaise
direction parce que ce sont des pensées noires et haineuses, mais aussi parce
que dieu alors ne pourrait pas être parfait. Or si dieu n’est pas parfait, tout
puissant et omniscient, qu’est-il ?
Il faut bien saisir aussi ce que signifie le mot fini,
pour comprendre le mot infini. Si je suis fini, c’est parce que mon existence
est limitée. Elle est limitée dans le temps, dans l’espace, ma volonté est
faillible et mes espoirs inadaptés. Toutes le choses sont limité, parce qu’il
existe un endroit, un lieu, où on peut dire qu’elle n’existent pas. Toutes les
choses sont limitées, parce qu’il y a des choses qui sont plus fortes qu’elles.
Dieu est plus fort que tout, il est plus grand que tous et dans tous les
domaines possibles. Pourquoi ? Parce que non seulement dieu est infini,
mais chacune des manières de comprendre quelque chose d’infini (la raison,
l’espace…) sont des manières de comprendre dieu. Il faut dire qu’on apprendra
par la suite que Dieu est tout, que toutes les choses sont des modes, des
manière d’être de Dieu.